En février 2025, le gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, RTE, a publié une nouvelle version de son schéma décennal de développement du réseau de transport d’électricité (ci-après « schéma décennal » ou « SDDR »).
Le SDDR constitue une proposition d’évolution du réseau de transport jusqu’à l’horizon 2040. Il présente les stratégies analysées et retenues en matière d’investissement pour le renouvellement et le développement du réseau, ainsi que les différentes trajectoires financières associées. Il s’agit ainsi d’un exercice prospectif : les investissements qui seront réellement mis en œuvre dans les quinze prochaines années pourront différer de ceux prévus dans le schéma, en fonction des besoins effectifs rencontrés par RTE.
Cette vision couvre l’ensemble des investissements qui seront réalisés par RTE pour le réseau de transport :
Pour l’élaboration du SDDR, RTE a tenu compte des objectifs que la France s’est fixés en matière économique, énergétique et climatique. Les politiques publiques mises en œuvre pour réindustrialiser la France et accroître sa souveraineté industrielle impliquent la création de nouvelles zones industrielles et l’augmentation des besoins en électricité dans les bassins existants. Par ailleurs, les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans lesquelles se sont engagées la France et l’Union européenne nécessitent des programmes volontaristes d’électrification des usages qui devraient se traduire par une hausse de la consommation d’électricité, notamment dans le secteur du transport et pour la décarbonation de l’industrie.
Afin d’accompagner ces évolutions, la production d’électricité sera en croissance avec le développement d’énergies renouvelables (EnR) terrestres et en mer ainsi que de nouveaux réacteurs nucléaires. Le recours accru aux flexibilités de la consommation et du stockage devrait également permettre une optimisation globale du système par l’adéquation au plus près entre l’offre et la demande en électricité.
Le schéma décennal de RTE s’appuie sur différentes hypothèses concernant les besoins de renouvellement et de numérisation du réseau, l’évolution des demandes de raccordement ainsi que la modification des mix de production français et européens. Concernant l’évolution de la consommation et de la production, RTE a étudié deux scénarios d’évolution issus de son Bilan prévisionnel 2023 : les scénarios « A » (atteinte des objectifs publics) et « B » (moindre développement de la consommation et de la production). Ces scénarios sont cohérents avec ceux envisagés par l’État dans sa consultation publique relative à la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), publiée en mars 2025. Certaines trajectoires ne dépendent pas de ces scénarios : c’est notamment le cas des investissements liés au renouvellement du réseau, à sa numérisation et à l’adaptation au changement climatique qui ne dépendront pas du rythme d’évolution de la consommation électrique.
La loi prévoit que le schéma décennal est soumis à l’examen de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) afin que celle-ci s’assure, d’une part, de la couverture de tous les besoins en matière d’investissements et, d’autre part, de la cohérence du SDDR avec le plan de développement des réseaux de l’ENTSO-E (ci-après « TYNDP»). La CRE peut imposer au gestionnaire du réseau public de transport la modification du schéma décennal de développement du réseau.
Conformément aux dispositions de l’article L. 321-6 du code de l’énergie, la CRE consulte les utilisateurs du réseau public sur le SDDR que RTE lui a soumis. La présente consultation publique vise à recueillir l’avis de l’ensemble des parties prenantes sur le SDDR et sur l’analyse préliminaire de la CRE. Cette consultation sera suivie d’une délibération de la CRE portant examen du schéma décennal élaboré par RTE.
Le SDDR fera également l’objet d’un avis de l’autorité environnementale au titre de l’évaluation environnementale des plans et programmes et a été transmis au ministre chargé de l’énergie. De plus, le SDDR de RTE fait actuellement l’objet d’un débat public lancé par la Commission nationale du débat public le 4 septembre 2025 et dont la fin est prévue le 14 janvier 2026.
Le Schéma Décennal de Développement du Réseau 2025 de RTE (SDDR) présente une analyse approfondie des 100 Md€ d’investissements envisagés dans le réseau de transport d’électricité d’ici à 2040
Le schéma décennal de RTE présente une vision d’ensemble des enjeux à venir pour le réseau public de transport d’électricité (RPT) et décline les solutions proposées par RTE pour y répondre, non seulement s’agissant de développement du réseau et de raccordement de nouveaux utilisateurs, mais également en matière de renouvellement et de numérisation du réseau.
Dans cet exercice, RTE a maintenu un niveau élevé de concertation des parties prenantes. En particulier, RTE a organisé en mars 2024 une consultation publique sur les hypothèses du schéma et présenté à plusieurs reprises son projet de schéma décennal au sein du comité des clients utilisateurs du réseau de transport d'électricité (CURTE).
Pour cette édition, RTE a approfondi les analyses des choix techniques et des conditions de réussite des différentes stratégies. Chaque section du SDDR présente ainsi des stratégies alternatives chiffrées et les raisons expliquant les choix retenus. RTE a également mené des analyses non financières, s’agissant en particulier des impacts environnementaux et des capacités d’approvisionnement auprès de ses fournisseurs. La CRE salue ces améliorations qui renforcent la qualité et la profondeur des analyses.
Au global, RTE estime que les investissements dans le réseau de transport s’élèveront à environ 100 milliards d’euros sur une période de quinze ans (entre 2025 et 2039). Ils seront en forte croissance, passant d’environ 3 milliards d’euros pour l’année 2025 à 8 milliards d’euros par an à l’horizon 2040.
Les principaux éléments de cette trajectoire sont les suivants :
RTE estime également que 11 Md€ supplémentaires pourraient être investis sur la période du SDDR pour des projets qui seraient mis en service après 2040, principalement pour le raccordement de parcs éoliens en mer et les adaptations de la structure du réseau. Le raccordement de nouveaux réacteurs nucléaires sur la décennie 2040-2050 appartient également à cette catégorie mais n’a pas été chiffré précisément faute d’information précise sur la localisation des sites.
RTE propose également dans son SDDR différentes évolutions du cadre règlementaire pour le raccordement des consommateurs, producteurs et stockeurs et sollicite l’avis de la CRE et du ministre chargé de l’énergie sur leur mise en œuvre.
La CRE présente dans cette consultation ses principales conclusions préliminaires (résumées ci-dessous)
Compte tenu du vieillissement des lignes, le renouvellement du réseau doit impérativement s’accélérer dans la prochaine décennie, ce qui constituera une opportunité pour adapter le réseau au changement climatique
Le rythme de renouvellement du réseau va croître dans les prochaines années en raison du vieillissement des lignes construites après la Seconde Guerre mondiale.
À ce stade, la CRE est favorable aux stratégies d’investissement proposées par RTE dans son SDDR pour le renouvellement du réseau, visant à trouver un optimum entre la prolongation de la durée de vie des ouvrages et les risques d’avaries associés à des actifs plus âgés. Des études pourront être réalisées afin de confirmer les critères de renouvellement prévus par RTE dans le SDDR.
Cet important programme de renouvellement permettra en outre d’adapter progressivement le réseau aux conséquences du changement climatique, avec un surcoût limité estimé à 5 % des dépenses associées à la création de nouveaux ouvrages.
Pour atteindre les objectifs que la France s’est fixés, les infrastructures de réseaux doivent être planifiées et pour certaines anticipées, même si des incertitudes subsistent sur les évolutions de la consommation et de la production
Le développement des infrastructures du réseau public de transport nécessite des temps de développement longs, jusqu’à 10 ans pour les ouvrages les plus importants. Ces travaux mobiliseront l’ensemble des filières industrielles, pour les approvisionnements de matériels ou la réalisation des études et des travaux. Ces entreprises ont besoin de visibilité pour pouvoir s’adapter à la croissance prévue de l’activité et planifier les investissements nécessaires.
La CRE soutient donc à ce stade la stratégie générale proposée par RTE dans son SDDR, consistant à lancer immédiatement la construction des ouvrages présentant le plus de bénéfices pour la collectivité et à planifier la réalisation d’ouvrages supplémentaires en fonction de la dynamique d’évolution de la consommation. Cette stratégie comporte des risques de coûts échoués à la charge du TURPE mais permettra au réseau de ne pas être limitant dans la concrétisation des projets qui concourent à la décarbonation de l’économie et à la transition énergétique.
RTE adaptera, sous contrôle de la CRE, les trajectoires d’investissements présentées (~100 Md€) à la réalité du développement de la consommation et de la production
Une part majoritaire de la trajectoire d’investissements proposée par RTE est liée au développement de nouveaux usages : raccordements de nouveaux consommateurs et producteurs, adaptation de la structure du réseau à la modification des flux. Seule une partie de ces investissements sera lancée sans attendre par RTE, le reste des investissements étant conditionné à la matérialisation effective des besoins. Les trajectoires d’investissements s’adapteront donc à l’évolution de la consommation électrique dans les prochaines années. À titre d'exemple, RTE estime que ces investissements pourraient s'élever à 82 Md€ dans le scénario B de croissance plus modérée de la consommation électrique.
De nouvelles lignes à très haute tension (400 kV) devront être construites dans les prochaines années et la CRE considère que le recours à la technologie aérienne sera nécessaire à la soutenabilité du SDDR
La CRE soutient la proposition de RTE visant à lancer seulement les renforcements du réseau à très haute tension qui présentent le plus de bénéfices pour la collectivité. Néanmoins, même en appliquant cette stratégie prudente, de nouvelles lignes à très haute tension seront nécessaires d’ici 2040.
Pour le niveau de tension 400 kV, les technologies souterraines sont beaucoup plus coûteuses (de l’ordre de 10 fois plus chères) et présentent des inconvénients notables concernant l’emprise foncière, la disponibilité des matériels et les impacts environnementaux. L’écart de prix répercuté au consommateur serait de nature à freiner l’électrification des usages, avec un surcoût de 40 à 70 Md€ supplémentaires sur la période du SDDR pour la mise en souterrain des nouvelles lignes à très haute tension.
L’utilisation de la technologie souterraine peut être envisagé pour les réseaux haute tension (63 – 225 kV) lorsque les avantages sont significatifs ou que les surcoûts sont limités
À ce stade, la CRE soutient la nouvelle stratégie proposée par RTE pour le recours à la technologie souterraine pour les réseaux à haute tension (HTB 1 et HTB 2) dans les situations suivantes :
Le recours accru aux nouvelles flexibilités du système électrique devra nécessairement accompagner le plan d’investissement de RTE
La CRE soutient le recours aux différentes flexibilités du système électrique afin de maîtriser les investissements. En particulier, accepter un volume limité d’écrêtements de la production EnR permettra de réduire les dépenses d’investissements pour la création de nouveaux ouvrages. La flexibilité permise par le stockage permettra également de limiter le recours aux écrêtements ou de réduire les investissements dans des zones présentant des contraintes prévisibles (forte production solaire en journée, forte consommation dans la matinée et en fin de journée).
Le raccordement efficace et rapide des nouveaux utilisateurs est une priorité qui nécessite mutualisation, anticipation et priorisation
La CRE estime à ce stade que les propositions formulées par RTE pour le raccordement de nouveaux utilisateurs sont pertinentes, en particulier en ce qui concerne :
De manière générale, la CRE considère comme pertinent de faire évoluer les procédures de raccordement afin de mieux prendre en compte l’état d’avancement des projets, de permettre une meilleure utilisation des capacités de raccordement disponibles sur le réseau et d’identifier des projets pouvant bénéficier à plusieurs utilisateurs lorsque cela est possible.
La France a mené un vaste programme d’interconnexions ces dernières années (projets réalisés ou en cours avec l’Irlande, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni). Aller plus loin nécessitera de renforcer les réseaux internes et de s’assurer de la rentabilité des projets
Le SDDR de RTE prévoit l’achèvement de plusieurs projets en cours de réalisation : Golfe de Gascogne avec l’Espagne, Celtic avec l’Irlande, et divers projets avec l’Allemagne et la Belgique, dont les travaux sont majoritairement situés de l’autre côté de la frontière. Ces projets permettront d’accroître les capacités d’échange aux frontières d’environ 6 GW, alors que celles-ci sont de l’ordre de 20 GW aujourd’hui.
Au-delà de ce programme, l’accroissement des capacités d’échange aux frontières nécessite désormais dans la plupart des cas de réaliser des renforcements internes du réseau de transport d’électricité. La CRE partage à ce stade les analyses de RTE à ce sujet, et lui demande de mener à bien les études sur les renforcements internes nécessaires, conjointement avec ses homologues. De nouvelles lignes d’interconnexion pourront alors être envisagées, sous réserve d’analyses coût-bénéfice positives.
La CRE considère également que le SDDR est cohérent avec le TYNDP élaboré par l’ENTSO-E, malgré les différences méthodologiques entre les deux exercices.
Dans les scénarios présentés, l’effet des investissements de RTE et d’Enedis sur le niveau des tarifs de réseaux d’électricité (TURPE) serait d’environ l’inflation +1 % par an jusqu’à 2040 pour les clients domestiques
L’augmentation des investissements de RTE devra être financée par les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE). La CRE a réalisé une estimation de l’effet de ce plan d’investissements sur les factures des utilisateurs de réseau, en prenant en compte également le plan d’investissements d’Enedis ainsi que différentes hypothèses d’évolution de la consommation et des coûts d’exploitation du réseau.
Le résultat de ces simulations conduit à une croissance des factures de TURPE des clients directement raccordés au réseau public de transport (TURPE HTB) de +2 % à +3 %/an en plus de l’inflation. De nombreux clients industriels, représentant l’essentiel de l’énergie soutirée par les clients directement raccordés au réseau public de transport, bénéficient néanmoins de la réduction prévue à l’article L. 341-4-2 du code de l’énergie. Pour ces clients, la hausse de facture TURPE sera très limitée. Les évolutions seront plus modérées pour les clients domestiques raccordés aux réseaux publics de distribution, avec une hausse du TURPE de l’ordre de +1 %/an en plus de l’inflation.
La réalisation de ces prévisions dépendra de nombreux facteurs externes, comme les coûts de l’énergie pour la couverture des pertes électriques des gestionnaires de réseaux, sachant également que le niveau des investissements réalisés s’ajustera en fonction de l’évolution de la demande d’électricité.
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